Pour introduire la grand messe agricole française, a lieu, ce vendredi, un colloque réunissant politiques et chercheurs en agronomie et en économie, colloque placé sous le signe de l’innovation, laquelle serait essentielle quand on prend notamment conscience que l’agriculture est responsable de 25% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Il y est question d’adaptation rapide des végétaux aux nouvelles conditions climatiques, d’agroécologie à la sauce Le Foll (ministre de l’agriculture), de modification des régimes alimentaires des animaux pour qu’ils émettent moins de méthane, d’agriculture « climato-intelligente », d’énergie aussi, biomasse oblige. Le tout s’appuiera sur le « comportement entrepreneurial » des agriculteurs. Bien. Il y a donc, sans entrer dans un débat à ce stade sur les solutions proposées, un constat de non-durabilité du modèle agricole actuel du fait de ses conséquences tant sur le climat que sur l’environnement au sens large, notamment sur la pollution du sol et de l’eau, et, au-delà du constat, l’identification d’une urgence à agir.
Mais qu’observe-t-on comme évolution sur le terrain ?
La Confédération paysanne vient précisément, pour objectiver la réalité de terrain, de publier une carte de l’industrialisation de l’agriculture. Vous y découvrez, outre la célèbre ferme des 1000 vaches qui vient d’être mise en service en Picardie, un élevage de 250.000 poules pondeuses dans la Somme ou de 125.000 poulets dans le Vaucluse, mais aussi un centre d’engraissement de 2000 taurillons dans l’Aube, ou encore une maternité industrielle de 900 truies qui vont « produire » 23.000 porcelets par an dans les Côtes d’Armor… Bref, des fermes-usines dédiées aux rendements financiers, dans lesquels travaillent beaucoup de machines et quelques ouvriers spécialisés qui n’ont rien d’agriculteurs.
Sur quelle politique s’appuie ce système d’agriculture industrielle ?
Ce mardi 17 février, s’est tenue à Matignon, une rencontre entre Manuel Valls, premier ministre et Xavier Beulin, le charismatique président de la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles), le grand syndicat agricole français. Les résultats de cette discussion ont été communiqués le lendemain par le ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll :
assouplissement des conditions d’ouverture des élevages industriels de volaille : jusqu’à 40 000 bêtes, seul l’enregistrement sera nécessaire ;
contrôles environnementaux allégés, et la durée de recours juridique contre les élevages industriels sera réduite ;
cerise sur le gâteau, poursuite et la relance des projets de retenues d’eaupour l’irrigation.
Le drame de Sivens (voir ici, ici ou ici) est bel et bien oublié…
Xavier Beulin, l’industriel qui décide de l’avenir de l’agriculture française
Tout (enfin presque) s’explique quand on cerne mieux qui est exactement Xavier Beulin. Outre donc sa casquette de président du syndicat agricole, il est également président du groupe Avril (Sofiprotéol jusqu’il y a peu), une multinationale de l’agro-industrie qui compte plus de 150 sociétés différentes et dont le chiffre d’affaire dépasse les 7 milliards d’euros. « Et partout où l’on regarde, on constate que les activités industrielles de Sofiproteol s’accordent parfaitement avec le développement des fermes-usines et des nouveaux besoins qui leur sont corrélés : le groupe est un partenaire stratégique de l’industrialisation de l’agriculture » [1].
Le cynisme du bonhomme n’a pas de limite quand on sait - et cette anecdote n’a peut-être rien à voir avec le contenu de cet article, mais mérite tout de même d’être racontée - que sieur Beulin s’est déclaré « Charlie », lors d’un déjeuner de presse tandis que la veille, Fabrice Nicolino, un de ses détracteurs les plus féroce [2] depuis de très nombreuses années notamment dans les pages de Charlie Hebdo, était en salle d’opération - et reste aujourd’hui hospitalisé - blessé aux jambes lors de la tuerie [3]. Je lui laisse d’ailleurs le mot de la fin : La messe serait donc dite ? Elle l’est, et depuis le début. Derrière le rideau de scène, la ferme des 1000 vaches, que nos compères Hollande-Beulin soutiennent de toutes leurs forces coalisées depuis le début. Le Foll, sur ordre volontairement consenti, a choisi l’industrie contre l’agriculture paysanne. La FNSEA contre la Confédération paysanne. L’infernale pollution des sols et des eaux contre le dynamique essor de la production bio. Le grand massacre de bêtes contre le respect dû à toute créature vivante. Qu’ajouter ? Ces gens me font honte.