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Evaluation des OGM et pesticides : vers une approche systémique ?
par Lionel Delvaux - 5 novembre 2012

La publication, au début du mois de septembre, de l’étude de G-E Serallini sur les OGM suscite bien des émois. Elle a remis en avant les difficultés fondamentales de l’évaluation des risques associée à nos choix technologiques : moyens insuffisants, connaissances limitées sur certains aspects, complexité des interactions, influence des lobbys. La polémique ne se limite pas aux OGMs, comme l’a rappelé haut et fort Bruno Schiffers, chercheur et enseignant à l’Agrobiotech, dans le cadre de la leçon inaugurale de la cérémonie d’ouverture de l’année académique de la faculté de Gembloux. Propos qui ont quelque peu irrité le SPF santé publique...

Au travers de son exposé « Les pesticides ou le mythe de Prométhée revisité », Bruno Schiffers a retracé l’histoire des pesticides et de leur évaluation, démontrant le déséquilibre de la balance risque/bénéfice de ces substances (de plus en plus difficilement acceptable pour la société) et interrogeant la responsabilité des scientifiques et de la science dans la prise de décision.

Il s’est également intéressé à la notion d’acceptabilité du risque lié à l’emploi des pesticides et interroge la place dévolue à l’expertise scientifique pour y répondre. « Le recours systématique aux pesticides est un choix technologique dont les méthodes d’évaluation ne permettent plus, aujourd’hui, d’évaluer ni d’imaginer valablement les conséquences et les implications. Or le choix du risque est délégué aux experts : on leur assigne cette mission du fait qu’eux, ils savent. Mais ce n’est plus vrai ! S’ils sont honnêtes, les experts doivent bien admettre qu’ils n’en savent pas assez sur certains effets délétères de ces produits1. »
Il dénonce également les faux arguments avancés pour justifier le recours aux pesticides : on les dit indispensables pour accroître la productivité et pour relever les défis alimentaires. « Mais aujourd’hui, à l’échelle de la planète, les agriculteurs ayant recours aux pesticides forment une minorité et travaillent dans des régions soumises au déclin démographique. À l’inverse, huit à neuf agriculteurs sur dix dans le monde vivent et produisent sans pesticides, selon des méthodes et des pratiques qui sont capables de fournir d’excellents rendements à l’hectare. Et cela, sans pour autant présenter les sérieuses limites – de plus en plus connues et étayées sur le plan scientifique – des produits de synthèse. »
Ces limites, elles sont nombreuses et difficilement contestables. Les plus connues concernent la contamination diffuse de l’environnement et notre alimentation, la pollutions des eaux de surfaces et des eaux souterraines, l’impact sur la biodiversité et la qualité des sols. Les coûts sur l’environnement ou la santé sont considérés par les experts comme acceptables. C’est le principe de privatisation des bénéfices et socialisation des pertes : coûts lié à la santé, l’évaluation, le monitoring, la dépollution, ... .

A cela, s’ajoute les effets dits « sans effet de seuil » où n’importe quelle dose, même infinitésimale, est susceptible de perturber l’organisme ou l’écosystème. Ils sont observés sur un nombre toujours plus important de produits, alors que les principes de l’évaluation des risques « classique » considèrent qu’en dessous d’une certaine dose, les risques sont acceptables.

Les écarts montrés par les enquêtes in situ, entre les situations réelles d’exposition et les modèles de laboratoire, pointent une autre faiblesse : « Les firmes se dégagent de toute responsabilité en rappelant que l’utilisation de leurs produits doit s’opérer dans des conditions de sécurité optimales : gants, masque, ventilation, etc. Mais chacun sait que ces mesures ne sont pas respectées ! »

Enfin, la problématique des effets cocktails est elle aussi mal appréhendée par l’évaluation des risques, qu’il s’agisse des formulations ou de l’exposition simultanée à plusieurs pesticides différents.

Les limites de l’évaluation des risques, elles s’observent sur le terrain : si les agriculteurs souffrent moins de cancer que la population générale parce qu’ils sont plus actifs, ils sont davantage victimes de maladies neurovégétatives spécifiques et de cancers liés à l’usage de pesticides (cancers de la prostate et hématologiques, maladies neurodégénératives comme le « Parkinson », etc.), dorénavant bien documentés sur le plan scientifique.

Le SPF santé publique a pris l’initiative de répondre aux arguments de Bruno Schiffers repris par la presse. Dans sa communication, l’administration fédérale minimise les critiques relatives à la procédure d’évaluation tout en relevant à plusieurs reprises que certains aspects de l’évaluation sont en cours de réévaluation. Et c’est bien l’un des problèmes, l’évaluation actuelle est insuffisante et cet état de fait n’est pas nouveau. La réévaluation des procédures est extrêmement lente alors même qu’il n’y plus le moindre doute d’un point de vue scientifique. La faillite de l’évaluation des pesticides sur les abeilles2 en constitue un bel exemple !

Le SPF reconnaît également que certains aspects relevés par B. Schiffers sont l’objet de débat dans le monde scientifique, justifiant ainsi qu’il ne faille pas les prendre en compte. L’expertise scientifique ne peut gérer l’incertitude scientifique, mais cette question est par contre politique et doit pouvoir être prise en compte au nom du principe de précaution. Le débat doit donc bien être porté au niveau politique.

Enfin, il reste paradoxal d’entendre les évaluateurs fédéraux à l’origine de cette note « diluer » les effets des faibles doses et des effets cumulatifs en relevant que cette problématique est aussi valable pour toutes les substances chimiques. L’attention particulière portée sur cette problématique par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), empêtrée dans la gestion de ses conflits d’intérêts3, risque peu de rassurer l’opinion publique.

Enfin, la question essentielle posée par Bruno Schiffers est celle d’une évaluation plus large du recours aux pesticides, intégrant les coûts/bénéfices pour notre société de ce choix technique. Le développement de techniques alternatives, inspirées de l’agro-écologie (voir par exemple : http://www.iew.be/content/opinions/agriculture-et-environnement%C2%A0-li...), a une incidence économique acceptable pour la société sans aucune incidence sur la santé et de nombreux bénéfices environnementaux. Pourquoi dès lors nous faudrait-il accepter un tel recours aux pesticides, même si ceux qui les évaluent estiment que leur incidence sur notre santé et notre environnement est « acceptable ».

Dès que la communication du SPF, reprise par le magazine Pleinchamps du 11 octobre 2012, sera mise en ligne, nous ne manquerons pas de la joindre à cet article.