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Vie active - Alimentation - Comprendre
Manipulations génétiques : il n’y a pas que Monsanto !
par Alain Geerts - 15 octobre 2013

L’association allemande au nom très explicite « Coordination contre les méfaits de Bayer » vient de sortir un communiqué qui explique de manière claire et approfondie en quoi la société Bayer est à mettre sur le même pieds que la firme Monsanto en matière de production de produits dangereux, de manipulations génétiques, d’exploitation des pays pauvres et last but not least de lobbying agressif pour museler toute opposition.
Nous n’hésiterons pas à ajouter à ce duo quatre autres protagonistes au moins aussi nuisibles : DuPont, Syngenta, Dow et BASF. Toutes ces sociétés ont notamment la particularité de faire de plantureux bénéfices sur le dos de la santé des populations tout en surfant sur l’opportunité que constituent pour eux les changements climatiques et la spéculation sur les matières premières alimentaires. Mais laissons la parole à notre consoeur allemande...

En matière de manipulations génétiques les critiques s’adressent surtout à Monsanto. Or dans la foulée des multinationales US-américaines, la firme Bayer s’est hissée parmi les plus importantes entreprises agroalimentaires mondiales. Bayer est déjà l’un des tout premiers fournisseurs de semences et pesticides. Une étude effectuée auprès de l’Office européen des brevets (OEB) montre que la firme est même le premier obtenteur de brevets sur les plantes génétiquement modifiées.

Maïs, orge, froment, riz, soja, coton, betterave à sucre, colza, pommes de terre, tabac, tomates, raisins - la liste des plantes transgéniques pour lesquelles la firme Bayer CropScience détient un brevet est fort longue. Bayer s’est même assuré un brevet pour des arbres manipulés génétiquement : peupliers, pins, eucalyptus entre autres. C’est ce qu’a révélé une étude effectuée à l’Office européen des brevets (OEB) à Munich. Elle s’est penchée sur les demandes d’agrément déposées par Bayer au cours des 20 dernières années. Il en ressort que l’entreprise détient 206 des 2000 brevets accordés en Europe à des plantes transgéniques, ce qui confère à Bayer la première place, devant PIONEER (179), BASF (144), SYNGENTA (135) et MONSANTO (119).

Une concentration qui s’accroît

Bayer CropScience, une filiale de Bayer AG détenue à 100% par la firme, est avec 20% du marché mondial le second fabricant de pesticides, derrière Syngenta. Et avec 3% de parts de marché, elle se place au septième rang des semenciers.
Depuis plusieurs décennies, on assiste à un processus de concentration du marché agricole. La part de marché des dix premières entreprises mondiales s’élève à 70%. Le but de cet oligopole est de se répartir le marché, de dicter les conditions-cadres et les prix et à terme de contrôler l’alimentation humaine - et donc de tenir en mains les destins de toute la planète. « Qui contrôlera les semences dominera le monde » a maintenu jadis Henry Kissinger, ex-Secrétaire d’État aux Affaires étrangères des USA. Et pour cela les brevets sur les plantes et les espèces animales constituent un outil essentiel.

Dès 2008, le Rapport sur l’agriculture mondiale initié par les Nations Unies et la Banque mondiale avait tiré la sonnette d’alarme : l’augmentation du nombre des brevets met en danger la recherche et la diffusion des savoirs. En particulier dans les pays en développement, elle empêche la mise en œuvre de pratiques adaptées aux conditions locales qui concourent à la sécurité alimentaire et à la durabilité économique.

De plus en plus d’herbicides

Le premier fournisseur mondial de semences transgéniques est de loin la firme Monsanto. L’entreprise a racheté des dizaines de petits producteurs et sélectionneurs de semences, ce qui lui a permis de s’attribuer 27% du marché des semences. Pour les herbicides aussi la firme US est en tête : 95% du soja génétiquement modifié et 75% de l’ensemble des plantes transgéniques (coton, maïs) sont résistantes au glyphosate (commercialisé sous le nom de Roundup), le pesticide-phare de Monsanto.
Des études indiquent que ce produit peut être tératogène et cancérigène. Le nombre d’agriculteurs et travailleurs agricoles intoxiqués croît sans cesse, surtout en Amérique latine. Et à l’inverse de ce que promettait l’industrie agro-alimentaire, l’introduction de plantes transgéniques, loin de réduire l’usage des pesticides, l’a constamment accru. Il est donc tout à fait justifié de concentrer les critiques sur Monsanto.

Mais pour les allemandes Bayer et BASF, cette situation est de tout confort : le grand public n’entend presque jamais parler d’elles. Or le glufosinate, produit par Bayer, chimiquement proche du glyphosate et lui aussi proposé en association avec des semences résistantes aux herbicides, n’est pas moins dangereux. La molécule active peut provoquer des malformations fœtales ; elle est donc classée comme toxique pour la reproduction. C’est pourquoi cet herbicide doit être retiré du marché européen au plus tard en 2017. Ce qui n’a pas empêché Bayer d’annoncer à la mi-mai 2013 qu’il allait ouvrir aux USA une nouvelle fabrique géante de glufosinate. La firme compte ainsi anticiper la brèche ouverte par l’inefficacité croissante du glyphosate contre les plantes sauvages.

Bayer est en train de doubler ses concurrents

En matière de « génie génétique » Bayer n’a de cesse de combler son retard. Depuis les années 80 la firme fait des recherches sur les plantes génétiquement modifiées et s’est hissée en première division en 2001 par le rachat d’Aventis CropScience, elle-même issue de la fusion des sections de génie génétique de Schering, Rhône-Poulenc et Hoechst. Lui a succédé l’acquisition d’entreprises telles que Plant Genetic Systems, Planttec, Prosoy Genetics et Athenix. S’y sont ajoutés des accords de coopération avec des entreprises de biotechnologie - Evogene (recherches sur le riz), Mertec (soja) et Futuragene (coton) etc. - et des instituts de recherche, comme la « Commonwealth Scientific and Industrial Research Organisation », spécialisée dans le froment, ou le « Centre des technologies de la canne à sucre » au Brésil.
C’est avec les semences de coton que Bayer réalise son plus gros chiffre d’affaires actuel. Dans ce domaine, elle détient à elle seule 18 brevets. En outre Bayer propose des semences de colza, betteraves sucrières, soja et maïs transgéniques. Bayer avait déposé il y a déjà dix ans une demande d’agrément d’importation en UE pour le riz LL62.

206 plantes transgéniques brevetées chez Bayer

L’étude récente montre que Bayer a déposé au cours des 20 dernières années 771 demandes d’homologation auprès de l’Office européen des brevets (OEB), avec succès dans 206 cas (voir tableau). Ces trois dernières années, deux firmes allemandes sont en tête pour l’obtention des brevets : Bayer (56) et BASF (69).
Rien que pour l’amidon et le sucre Bayer détient 26 brevets. La firme vise la production d’amidon pour l’industrie au moyen de plantes transgéniques. De plus on produira des sucres spéciaux par des moyens transgéniques.
23 des brevets de Bayer concernent les plantes résistance aux herbicides. Les brevets relatifs au glufosinate datent pour partie des années 80 et sont arrivés à expiration (tombés dans le domaine public). Pour prolonger leur durée, Bayer a introduit de légères modifications dans le patrimoine génétique de son soja et de son coton et demandé des brevets pour les nouvelles semences.
Comme le brevet accordé à Monsanto sur le glyphosate a lui aussi expiré, Bayer fabrique lui-même cette molécule et détient 10 brevets y afférents. Par exemple, le brevet N° EP 1994158 décrit un procédé de résistance au glyphosate au sujet duquel Bayer revendique ses droits sur 23 variétés végétales, parmi lesquelles on trouve du maïs, du froment, de l’orge, du soja et du riz, des arbres divers et même de l’herbe.

Un monopole sur les méthodes de test

En août 2011 Bayer a obtenu une licence d’importation pour le soja A5547-127, résistant au glufosinate. Cette variété devait être cultivée surtout en Amérique du Sud et importée en Europe pour l’alimentation animale.
Quelques mois seulement auparavant la firme avait obtenu pour un haricot de soja un brevet courant jusqu’en 2026. Ce brevet confère en outre à l’entreprise le droit exclusif de tester les contaminations par cette variété transgénique, ce qui pourrait servir à empêcher des contrôles indépendants.

C’est une plante résistante au glufosinate qui a été à l’origine du plus grand scandale de contamination de toute l’histoire des biotechnologies : en 2006 des paquets de riz transgénique LL601 étaient en vente dans des supermarchés du monde entier, bien qu’aucune licence ne lui ait été accordée. 30% environ des récoltes US-américaines étaient contaminées ; l’UE et le Japon ont arrêté d’importer du riz nord-américain. L’an dernier, Bayer a été condamné à payer aux agriculteurs lésés plus de 750 millions de dollars de dommages et intérêts. Et aujourd’hui encore le LL601 n’a pas été totalement éliminé et l’on en trouve souvent dans le riz commercialisé ordinaire.

Le brevet Terminator

Il y a des millénaires que les agriculteurs produisent eux-mêmes leurs semences. Cela les amenait à sélectionner les variétés les mieux adaptées aux conditions locales. Pour les grands semenciers, l’auto-production est naturellement une épine dans le pied. La manœuvre la plus perfide inventée par les géants de l’agro-alimentaire pour saper la production libre de semences est la « technologie Terminator » ; grâce à un procédé génétique les plantes produisent des semences stériles. Les agriculteurs sont donc contraints de racheter leurs semences tous les ans.
Toutes les grandes firmes agro-alimentaires font de la recherche sur les semences de type Terminator et ont déposé des demandes de brevets. Depuis son rachat de Hoechst - Schering - Agrevo SARL (plus tard Aventis), Bayer possède aussi toute une série de brevets Terminator. Ceux-ci s’intitulent par exemple « Procédé pour la production de plantes aux organes féminins stériles » ou « Séquences ADN de type Terminator que l’on peut employer dans des chimères génétiques pour modifier les plantes. »

Les plantes de type Terminator n’ont pas été utilisées jusqu’ici, car depuis l’an 2000 un moratoire a été décrété dans le cadre de la Convention de l’ONU pour la biodiversité. Mais cette dernière n’est pas juridiquement contraignante. Des environnementalistes exigent donc une interdiction durable de cette technique. Les brevets qui ‘s’y rattachent doivent également être mis au ban.

Échange de brevets

Bayer et Cie n’ont pas réussi à ébranler le scepticisme des consommateurs européens envers le « génie génétique, technologie de l’avenir ». BASF s’est fait une raison et a délocalisé toute sa recherche biotechnologique aux USA.
En outre, ces techniques n’ont pas tenu leurs promesses. Les rendements n’ont pas augmenté de façon significative et l’emploi des pesticides n’a pas reculé. Mais comme la sélection conventionnelle n’est rentable que si la firme fait valoir ses brevets, elle tente de protéger aussi les plantes conventionnelles - et avec succès. C’est ainsi que l’OEB a accordé à Bayer un brevet valable d’août 2011 à 2024 (brevet EP1616013) pour la sélection de plantes présentant une résistance accrue aux stress (sécheresse, luminosité trop forte, canicule ou manque d’éléments nutritifs.)

Une centaine de brevets sur les 2000 conférés par l’Office européen des brevets concernent des plantes conventionnelles. Une pratique courante consiste également à modifier génétiquement une plante obtenue par sélection conventionnelle, ce qui facilite l’obtention d’un brevet. En accordant ces brevets, l’OEB donne sa bénédiction à la reclassification de plantes obtenues par sélection conventionnelle en « inventions » et la monopolisation des ressources génétiques.

Le système international de brevetage a ainsi franchi une nouvelle étape. À l’origine la Convention de Strasbourg sur les brevets (1963) aussi bien que la Convention sur le brevet européen voté en 1977 excluait les droits de propriété sur « des processus essentiellement biologiques ». La sélection d’animaux ou de plantes, voire d’espèces végétales ou animales n’étaient pas des inventions susceptibles d’être brevetées, car des processus vitaux ne doivent pas devenir l’objet d’un commerce. Si les choses en étaient restées là, les biotechnologies n’auraient guère pu devenir un secteur économique lucratif. Les lobbys de Bayer et Cie firent donc tout, au prix de perfides acrobaties juridiques pour réécrire ces paragraphes. Ils réussirent une percée en 1980 lorsqu’un office de brevets US-américain accorda un droit de propriété intellectuelle sur une bactérie. L’argument de cet office fut qu’une bactérie est beaucoup plus proche d’un composé chimique inanimé que d’un cheval, d’une abeille ou d’une framboise. Ensuite les choses allèrent très vite. L’Université de Harvard réussit en 1988 à faire déclarer « l‘oncosouris » comme « propriété intellectuelle » et dans la foulée elle a conclu un accord de licence avec Dupont de Nemours. Et maintenant l’OEB accorde même des droits de propriété intellectuelle à des plantes sélectionnées de façon conventionnelle.

Toutefois une petite lueur d’espoir s’est levée. Lors de sa dernière séance avant les vacances d’été, le Bundestag allemand a voté un amendement de la loi sur les brevets, qui exclut désormais du droit de propriété intellectuelle les plantes et animaux obtenus par sélection naturelle. Certes la loi ne concerne pas les pratiques de l’Office européen des brevets. Mais on peut espérer que cet exemple fasse école et que d’autres pays interdisent le brevetage du vivant.

Tableau des brevets accordés par l’Office européen des brevets
1. BAYER : 206
2. DUPONT-PIONEER : 179
3. BASF : 144
4. SYNGENTA : 135
5. MONSANTO : 119
6. DOW CHEMICAL 20

Nombre total des demandes de brevets
1. DUPONT-PIONEER : 1.454
2. BASF : 1.273
3. SYNGENTA : 961
4. MONSANTO : 811
5. BAYER : 771
6. DOW CHEMICAL : 228

Coordination contre les méfaits de BAYER
Postfach 15 04 18
40081 Duesseldorf, Allemagne

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